Overseas Chambers of Peter Harris

La propriété française et ses démembrements

August 30th 2018

Cet article porte simplement une attention sur le droit civil français, et n'a pas pour ambition d'étendre son analyse de l'usufruit français à d'autres juridictions ou leurs équivalents.

Il existe plusieurs cas dans lesquels un démembrement de la propriété en usufruit et en nue-propriété peut se produire, et il est important de comprendre la manière dont le droit civil français l'appréhende. Les analyses à partir d'un point de vue purement Anglo-Saxon peuvent être dangereuses, et faire l'impasse sur l'analyse des problèmes plutôt que de les résoudre. Tenter de comparer les différences nécessite une méthode rigoureuse afin que chaque analyse soit correcte, plutôt que de faire de simples spéculations de droit comparé, fondées sur un plan pratique et non théorique.

Avant le Code civil de 1804, selon la coutume d'une région donnée en France, l'usufruit était soit un droit de propriété distinct soit l'équivalent d'une charge sur la propriété. La question des divergences coutumières entre les différentes régions françaises a en principe été résolue, par l'article 578 du Code civil, qui dispose que l'usufruit est un droit de propriété distinct par nature.

Les conséquences de ce principe fondamental sont en cohérence avec les autres dispositions du Code civil, relatives à la propriété et au droit de propriété et ses attributs.

Cela se réfère également aux dispositions relatives à l'époux survivant, à la suite du décès de son partenaire. Bien que ce principe soit d'origine légale, il peut être étendu par testament ou d'autres dispositions. Il existe une différence substantielle à ce stade, qui peut engendrer des conséquences sur le plan fiscal et sur le dispositif concernant les biens situés à l'étranger de la personne décédée, plutôt que sur un plan successoral.

Le pré requis nécessaire pour comprendre comment ces mécanismes constituent un élément de la théorie civiliste de l'unité absolue de la propriété est de prendre en compte l'existence du contrat social, fondement de la Constitution républicaine. C'est exactement le contraire des théories relativistes de la propriété en référence au fidéicommis ou aux droits équitables, comme il l'a été exposé dans la législation anglaise sur la propriété plus d'un siècle après, en 1925. La Révolution a d'ailleurs été, en partie, une révolte pour que la législation sur la propriété soit modifiée.

Le démembrement est l'allocation de certains droits définis de jouissance de propriété à une autre personne avec un terme défini par la loi, calculé en années ou même en référence à une vie entière : la rétention par un usufruitier sur la donation ou la vente d'une propriété qu'il détient d'une autre personne est donc un démembrement. Il existe d'autres droits qui peuvent être exercés de cette manière, tels que le droit d'usage ou le droit d'usage et d'habitation.

Le propriétaire ou, dans le cas du démembrement, le nu-propriétaire en fin de terme, ont un droit absolu de propriété et disposent de toutes les prérogatives liées à celle-ci.

Le propriétaire dispose de l'usus et du fructus en tant que propriétaire, ainsi que le nu-propriétaire, dès l'extinction de l'usufruit, sans condition aucune. Dans le cas où il n'y a pas de prétention concurrente, l'usufruitier a alors un droit relatif sur la propriété, c'est à dire son usage et ses fruits, au regard des articles 578 et 582 du Code civil, durant l'existence de l'usufruit.

Il n'y a donc pas de transfert de ces derniers, de quelque forme que ce soit, en cas d'extinction de l'usufruit. Lors de cette extinction, c'est par le jeu de l'article 544, qui définit la propriété, que le propriétaire est déjà doté des droits et prérogatives sur le bien, dont la jouissance de celui-ci, que sont l'usus et le fructus.

Parler de succession des droits d'usus et de fructus entre l'usufruitier et le propriétaire est donc une absurdité, d'autant plus que de faire une déclaration de « succession » selon les termes et conditions du s 43 ITA 1984 n'est pas la bonne solution. 

Le point important à garder en tête est que l'usufruit est valable selon un terme.

S'il est retenu sur un don de la nue-propriété, ce don équivaut à un droit, non du fait de sa gratuité, mais du fait des droits de pleine propriété qui en résultent à l'extinction du terme.

Il n'y a donc pas de succession ou d'équivalent de l'usus et du fructus à l'extinction du terme.

Cela est déjà considéré comme un principe de droit envers le nu-propriétaire sur la réserve du donateur de l'usufruit, pour un terme défini par la législation. Il n'y a pas d'arrangement ou de trust sur ces droits. Idem pour le droit de l'époux à un usufruit sur les biens de l'époux décédé, si l'époux survivant le choisit.

Il n'y a pas non plus d'administration des biens durant l'existence de l'usufruit, étant donné que ce droit ne requiert pas d'assistance, ce n'est pas un droit « impropre » dépendant d'une partie tierce ou de l'usufruitier pour son administration ou son exercice.

En revanche, la logique de la démarche de l'administration britannique impliquerait que les enfants mineurs anglais joueraient le rôle de fidéicommissaire pour leurs parents. Ceci est une nullité depuis la loi anglaise de 1925 sur la propriété. Cela démontre clairement l'absurdité d'imaginer que là où il n'y a rien, il y aurait un trust ou un arrangement.

Pour faire le parallèle avec un équivalent, le Scottish Proper Liferent peut s'avérer utile. « Proper », dans ce contexte, signifie que le droit est administré par une seule personne, non par quelqu'un d'autre en votre nom. Le terme français « propre » est similaire : il n'y a pas d'administration implicite par une tierce personne.

Dans le mécanisme écossais, le concept « d'administration » apparaît seulement lorsque les biens sont dans les mains du fidéicommissaire, et administrés par une partie tierce.

Dans son essence, le terme « administration », tel qu'il est employé dans le s 43 (2) Inheritance Tax Act de 1984, sert à distinguer les biens détenus par les trusts et arrangements des biens détenus selon le principe standard de taxation tel que défini dans la première partie de l'Acte.

La façon dont un usufruit peut apparaître et disparaître peut seulement être appréhendée en référence à cette seule définition de la propriété. L'article 617 du Code civil précise dans quels cas l'usufruit est éteint, et donc se termine.

Il est à souligner que certains commentateurs anglais ont envisagé l'usufruit français avec un terme anglais en années, et un bail valable à vie. Bien qu'un tel terme puisse être considéré comme un accord valable selon le droit anglais, un usufruit n'est pas un bail ou une location selon le droit français, et est donc distinct de ce concept. Alors que le droit peut être acquis en contrepartie, il n'y a pas de location qui puisse être considérée comme une charge.

Même si les comparaisons entre l'usufruit et la notion de life interest peuvent s'avérer utiles, il n'y a pas vraiment d'intérêt sans les contrastes implicites, et les différenciations.

Il s'agit de l'incohérence légale et analytique dans laquelle les Européens sont actuellement confrontés, en tentant de faire de l'harmonisation avec une simple comparaison des systèmes.

La liberté de mouvement des capitaux entre les États membres de l'Union Européenne, au bénéfice de leurs résidents, ne tolère pas une requalification arbitraire des droits de propriété dans une forme et une substance étrangères. Au sein de leur union boursière et fiscale, les Américains se doivent d'accorder entier crédit et confiance (« full faith and credit ») aux formes légales provenant d'autres États que le leur, afin de permettre à leurs marchés boursiers de fonctionner et de prévenir l'érosion monétaire. Pour le moment, cette condition essentielle semble être ignorée à Bruxelles et dans les trésoreries des États membres.

En d'autres termes, selon l'HMRC, l'administration fiscale britannique, l'usufruit, en sa forme française, n'existerait plus en Angleterre en tant que droit de propriété, intérêt, ou quelque valeur que ce soit, et se remplace par un dédoublement juridique, source de double imposition et sans crédit pour l'imposition éventuelle déjà payée en France.

Revenons sur le principe de l'usufruit français : bien qu'il soit normalement un simple droit viager, il peut être expressément stipulé comme conjoint ou successif au sein des dispositions qui l'ont créées. En d'autres termes, il est possible, de manière exceptionnelle, de transférer un usufruit en cas de mort, en tant que droit, sous réserve de dispositions expresses. Par la suite, celui-ci conserve sa valeur jusqu'à son terme, s'il est exprimé en années ou en référence à la durée de vie de son titulaire, donc successif.

Autrement, il n'y a pas de succession ou de transfert de l'usufruit en cas de mort.

L'usufruit avec un terme défini en années n'est pas un bail, ce dernier étant réglé par une autre partie du Code civil. L'usufruit ne peut pas être comparé à un terme en années, tel que défini par la loi de propriété britannique, car celui-ci n'est pas régi par les mêmes principes. D'où le contraste.

 

 

Arthur Petit

Master 2 Droit international privé et du commerce international

Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne